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Atef Majdoub, Président de l’IGPPP: “Il faut opérationnaliser et actionner les projets PPP”

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Atef Majdoub, Président de l’Instance Générale du Partenariat public Privé (IGPP) : “Il faut opérationnaliser et actionner les projets PPP”

Atef Majdoub, Président de l’Instance Générale du Partenariat public Privé (IGPP) : “Il faut opérationnaliser  et actionner les projets PPP”

 

Le gouvernement tunisien vient de montrer une volonté politique pour booster les Partenariats Public-Privé (PPP), en présentant, tout récemment, 33 grands projets au Forum international sur les PPP. Des projets ambitieux, concernant plusieurs secteurs et plusieurs régions du pays. Mais ce concept, bien qu’il ne soit pas nouveau en Tunisie, sera-t-il réellement un moyen pour l’accélération de la réalisation de ces projets ? Ceci est certain, selon Atef Majdoub, président de l’Instance générale du PPP (IGPPP), qui insiste sur le rôle du secteur privé dans l’appui des efforts de l’Etat dans la création de la croissance économique et de l’emploi. Mais il indique que le PPP n’est pas aussi la panacée et que ceci n’exclut pas le rôle de l’Etat dans la poursuite des investissements publics, notant par ailleurs le rôle de l’IGPPP dans l’assistance et le contrôle des projets. Entretien.

Le Forum international sur les Partenariats Public Privé a été organisé la semaine dernière en présence de plus de 1.000 participants. S’attendra-t-on à des résultats plus concrets par rapport à son précédent “Tunisia 2020”?
Tout d’abord, il faut préciser que le format de ce forum diffère par rapport au format de la conférence “Tunisia 2020”. C’est un format innovant. Nous avons travaillé sur un pipeline de projets qui a été préparé avec l’assistance d’un cabinet d’experts, pour la conception des fiches de projets, avec les études réalisées et les options possibles pour la réalisation en mode Partenariat Public Privé (PPP). 
Il faut savoir aussi que la notion du PPP revêt une conception élargie. Par PPP, on entend les contrats de partenariat, objet de la loi 2015. Cette formule s’apparente à la réalisation des projets d’infrastructure sociale, où le paiement se fait par l’Etat. Il existe aussi la formule de PPP pour l’économie marchande, destiné aux projets d’infrastructure économique. Ce sont des projets qui donnent accès à un retour sur investissement par les usagers et par les redevances, à l’exemple des ports et des aéroports, s’apparentant au régime de concessions. 
Il existe un troisième modèle qui est le PPP institutionnel. Il s’agit de l’exemple des sociétés d’économie mixte ou joint venture, se basant sur une association entre une partie publique et un partenaire privé pour créer une société dont l’objectif est la réalisation d’un projet bien déterminé. Je donne l’exemple de la Société de promotion du lac de Tunis (Splt). L’Etat participe dans cette société et le partenaire privé se charge d’apporter le financement et de réaliser les lotissements et les aménagements nécessaires. 
En ce qui concerne le forum, la liste des 33 projets a été arrêtée de façon à monter les projets selon ces trois types de contrats. C’est une liste élargie. Le degré de maturité des projets est variable. Il y a ceux qui ont une maturité avancée et dont les appels d’offre seront lancés d’ici la fin de l’année et il y a d’autres pour lesquels il y aura un approfondissement des études au cours de l’année prochaine.
La dernière étape a été franchie, celle d’avoir un pipeline de projets. Le PPP exige trois fondamentaux pour que l’Etat soit prêt pour se lancer dans ce processus : la volonté politique, la vision et la stratégie. Il faut avoir de la visibilité parce que ce sont des contrats complexes sur le long terme. L’investisseur privé veut s’associer mais il a besoin de visibilité.  
La volonté politique y est du haut niveau de la sphère. Le chef du gouvernement a parlé du PPP comme outil complémentaire. Il faut être conscient que les PPP ne sont pas le certificat de décès pour les investissements publics. Il s’agit d’un outil qui va compléter cette démarche. L’Etat va continuer à investir. Il y aura toujours le titre II du budget, il y aura toujours un budget de développement. Aujourd’hui, il existe un déficit énorme d’infrastructures, un problème de déséquilibre entre les régions, qui exige un effort de désenclavement. Le budget alloué par l’Etat ne peut pas subvenir à la totalité des besoins. 

Comment a-t-il été procédé aux choix des projets présentés ? 
Il existe des projets inscrits dans le plan de développement et qui pourraient tirer avantage du PPP pour une réalisation plus accélérée que le mode classique. Les études scientifiques l’attestent, il y a eu du benchmarking et du retour d’expérience. Il existe un gain en délai et un gain en coût. Mais il faut savoir que les PPP ne sont pas la cinquième roue de la charrette. Ce ne sont pas des projets auxquels nous n’avons pas trouvé de financements. Le privé ne sera pas attiré par des projets qui ne sont pas intéressants.  
D’ailleurs, nous avons trouvé un engouement de la part des investisseurs et des fonds d’investissement présents. Ceci atteste que les projets ont été bien préparés. Comme je vous l’ai dit, un cabinet d’experts nous a assistés pendant plus de deux mois pour sélectionner les projets et surtout pour fournir et mettre à disposition des investisseurs potentiels des fiches plus détaillées pour démontrer le caractère sérieux des projets. 
Il s’agit d’un cabinet d’experts étrangers auxquels nous avons associé des experts locaux afin de marier le contexte local. Nous nous sommes déplacés avec les experts sur les lieux des projets pour mieux cerner leurs détails, surtout qu’il y a des niveaux d’information différents. Les études de certains sont déjà finalisées, d’autres sont en cours de finalisation ou sont en train de démarrer.

Y a-t-il déjà des manifestations d’intérêt pour certains projets? 
La mobilisation de plus de 250 boîtes étrangères qui se sont déplacées à Tunis montre que nos efforts ont porté leurs fruits. Nous avons eu des feedbacks positifs. Nous avons même reçu des lettres de manifestations d’intérêt pour trois projets. Je peux citer le port d’Enfidha. C’est un projet qui est fin prêt. L’appel d’offres a été déjà lancé et la date limite de réception d’offre a été fixée au 18 octobre 2018. Les projets portuaires en général attirent les investisseurs. La position stratégique de la Tunisie parle d’elle-même. C’est un port de transbordement. Il peut générer un trafic très important. La rentabilité y est. 
Il existe également un intérêt de la part des bailleurs de fonds. D’ailleurs, nous avons signé un mémorandum d’entente avec la Banque Africaine de Développement (BAD) pour l’assistance de l’IGPPP. Je dois préciser que le PPP se présente en deux volets : le volet investissement en soi et le volet préparation. Il faut bien préparer le projet pour lui conférer les conditions maximales de réussite, que ce soit au niveau du montage juridique, financier et technique. Pour cela, il faut se faire assister par des experts, et avoir des fonds. 
La Société financière internationale (IFC) et la Banque européenne de reconstruction et de Développement (Berd), qui sont nos partenaires, ont indiqué qu’ils sont pour la double assistance, par le financement des études et l’accompagnement dans le processus de choix des investisseurs, et par l’entrée en capital pour les projets avancés. Cela a été annoncé par les représentants des deux institutions, lors du forum. Cela a donné plus de crédibilité auprès des investisseurs. Il y a même des fonds d’investissement intéressés. C’est une première réussite pour ce forum et il faut continuer sur cette lancée, opérationnaliser et actionner ces projets.  Nous allons essayer de tout lancer avant les élections. Ce sont de gros projets qui nécessitent beaucoup de temps. 
Nous avons même signé un mémorandum d’entente avec la Caisse des Dépôts et des Consignations (CDC), qui  est le bras financier de l’Etat, pour la participation dans des projets. Elle va nous assister et participer aussi dans le capital de certains projets.

Un cadre juridique et institutionnel a été mis en place pour cadrer les contrats PPP. Quels sont ses principaux axes?
La Tunisie a complété en novembre 2015 son arsenal juridique en matière de PPP, en adoptant la loi 49-2015 du 27 novembre 2015. Elle est venue compléter la loi adoptée en avril 2008 sur le régime de concessions. Ce cadre a été complété en 2017 par la mise en place de l’Instance Générale des Partenariats Public Privé (IGPPP). Auparavant, il y avait seulement une unité chargée des concessions. Le chef du gouvernement a annoncé l’accomplissement de ce cadre avec la création du Conseil stratégique des PPP qui sera opérationnel bientôt. Sa composition est mixte entre secteur privé et secteur public. Nous avons voulu que sa première réunion se fasse après le forum pour recueillir le feedback et les enseignements du forum pour affiner notre stratégie en matière de PPP. La réunion est prévue à la fin du troisième trimestre de cette année afin d’arrêter la stratégie et le plan d’action. 
Je précise aussi que notre cadre juridique a été réalisé en collaboration avec les bailleurs de fonds, surtout l’Organisation de Coopération et de développement économique (Ocde). Il a été même testé et mesuré par plusieurs organisations. Notre rating est bon. C’est un environnement juridique et institutionnel de confiance, que ce soit à la phase de passation du contrat, de la transparence et de l’égalité des chances. Ce sont des principes qui sont consacrés au niveau des lois. D’ailleurs, c’est l’un des rôles de l’IGPPP, qui veille au respect de cette procédure de passation par le contrôle et l’audit. Une fois le contrat signé, il existe des garanties au niveau de l’application, et surtout dans le règlement des litiges et des conflits au niveau de l’exécution. La loi exige aussi qu’un extrait du contrat de partenariat soit publié à l’issue de la contractualisation, stipulant la procédure, le montant de l’investissement, la durée de réalisation ainsi que celui qui a remporté l’offre. 

Quelles sont les missions essentielles de l’IGPP ? 
L’IGPPP a une mission double : assistance et conseil pour les personnes publiques, c’est-à-dire les ministères, les entreprises publiques et les collectivités locales et territoriales. L’assistance se matérialise par la formation, le conseil, l’identification et la préparation des projets. Nous allons recruter des experts que nous pourrons mobiliser auprès des personnes publiques. 
L’IGPPP, comme interlocuteur gouvernemental, a un rôle transversal sur toutes les entreprises publiques, les départements ministériels et les collectivités locales. De plus, l’instance est essentiellement un collège d’experts constitué de représentants des ministères des Finances, de l’Equipement et de l’Investissement, de la Présidence du gouvernement, de la Banque centrale de Tunisie (BCT) ainsi qu’un magistrat du Tribunal administratif pour veiller sur la légalité de la procédure. Ceci donne de la confiance pour tout le monde. 
La deuxième mission est le contrôle et l’audit. Elle se manifeste par deux étapes. La première la “pppayabilité” ou l’éligibilité d’un projet au PPP, afin d’éviter les dérives. Il y a eu des échecs parce qu’on considère que les PPP sont faciles, se font plus vite et sont moins chers. On se lance sans réfléchir. De par la loi, tous les projets PPP doivent passer par l’IGPPP, devant émettre un avis qui conforme ou justifie. C’est un élément fondamental pour encadrer le recours au PPP pour que ce ne soit pas une fuite en avant, ou  qu’il soit utilisé comme un outil pour les programmes électoraux, surtout par les collectivités territoriales. 
Il faut également prendre en considération l’aspect préparation, tout en évitant de handicaper le budget. L’Espagne, la Grèce et le Portugal ont fermé la porte du PPP parce qu’ils n’ont pas tenu compte de la soutenabilité budgétaire, surtout s’il y aura une participation de la partie publique. Pour le cas de la Tunisie, nous avons tenu à faire attention à la soutenabilité du budget, qui doit aussi être approuvé par le ministère des Finances. 

Mais est-ce que l’IGPP a les moyens pour accomplir ces missions ? 
Parmi les mesures annoncées par le Chef du gouvernement, il y a ceux de renforcer les moyens financiers et humains de l’instance pour qu’elle puisse accomplir son rôle efficacement. Nous sommes une petite équipe. Il existe des challenges très importants à notre charge. Il y a quelques bailleurs de fonds qui ont manifesté leur intérêt pour nous assister et l’investissement ne peut qu’être rentable. 
Nous avons préparé des outils avec un cabinet d’experts en 2016 pour préparer le terrain, à savoir un manuel des procédures, un guide des PPP et un projet de contrat-type à la disposition des personnes publiques. Actuellement, on est en train de faire un diagnostic des concessions. La semaine prochaine, nous aurons les livrables pour proposer des outils d’assistance aux personnes publiques. 
Que nous le veuillons ou pas, il s’agit d’un métier. Nous devons l’apprendre et suivre les formations nécessaires. C’est un carrefour de disciplines. Même la France et la Grande Bretagne, qui sont les champions du PPP, se font assister. 

La Tunisie démarre sa première expérience avec ce cadre juridique. Pensez-vous qu’il nécessiterait des ajustements dans l’avenir afin de mieux cerner les challenges auxquels fait face le pays ? 
Le PPP et concessions s’inscrivent dans le droit public économique. Il s’agit donc d’une cogitation et d’une adaptation à la sphère économique et financière. S’il y a des adaptations nécessaires, nous sommes prêts à apporter les amendements nécessaires que ce soit aux décrets d’application ou la loi. Il faut un minimum d’équilibre, il faut assurer la pérennité du contrat, il ne faut pas que la loi soit aussi rigide. 
Il faut aussi composer avec le privé, qui est connu pour sa flexibilité. Le combler par la rigidité ne peut pas donner de bons résultats. Nous devons chercher le juste milieu. Réussir ce partenariat exige des concessions de part et d’autre pour que la relation soit gagnant-gagnant. Le président de l’IGPP est membre du conseil stratégique. Il peut soumettre son feedback sur la pratique de la loi.  C’est un écosystème sur lequel on est en train de travailler. J’estime qu’on est prêt pour se lancer. Nous n’avons pas beaucoup de temps. Il faut se lancer. 

Concernant le côté procédural, s’attendra-t-on à une flexibilité dans la démarche surtout que le secteur privé s’est toujours plaint de la lenteur des procédures administratives ? 
L’instance a fixé des délais. Pour tout dossier soumis pour approbation de l’instance, elle dispose d’un mois. Le ministère des Finances dispose de 15 jours pour la validation de la soutenabilité du projet. Ce sont des délais fixés par décret. Ceci n’empêche, le processus n’est pas facile. Dans le benchmarking à l’international, le montage d’un projet PPP varie entre 12 à 18 mois. Ceci dépendra de la complexité des projets et de l’aspect foncier. Si tout va bien, ce délai est jouable. L’année 2019 sera, espérons-le bien, l’année de lancement du PPP. 

Qu’en est-il du rôle des entreprises tunisiennes dans la consécration du PPP ? 
Nous avons essayé de les faire participer à travers la sous-traitance. Parmi les garanties offertes dans le contrat, il y a une exigence d’un minimum de 15% de sous-traitance à confier aux PME tunisiennes. Egalement, nous avons mentionné la bonification pour l’emploi de la main-d’œuvre tunisienne, pour la formation de cette main-d’œuvre et aussi l’usage de produits tunisiens. 
Nous voulons encourager le tissu économique local. L’investisseur a besoin d’honorer ses engagements et livrer dans les délais. Plusieurs entreprises tunisiennes ont de l’expérience et se sont externalisées dans des marchés à l’étranger. 

Nous savons très bien que le PPP est très utilisé par les collectivités locales. Avec l’émergence de nouvelles communes, pensez-vous qu’elles sont bien préparées pour adopter ce modèle ? 
Il est certain qu’il existe des opportunités pour le PPP dans les collectivités locales, surtout pour les projets qui ont une rentabilité économique et financière comme les parkings, les abattoirs, les piscines, etc. Il existe beaucoup de foncier qui peut faire l’objet de valorisation par le privé. Nous pouvons aussi évoquer la notion de l’intercommunalité. Il y a une taille critique pour les projets. L’investisseur ne vient pas pour des projets de petite taille. Se rapprocher au niveau des communes peut attirer davantage les investisseurs. 
Il s’agit aussi de la Caisse de soutien des collectivités locales qui peut assister les collectivités locales pour la mise en place de programmes de formation. Nous sommes encore au stade de la pédagogie, de la vulgarisation et de l’apprentissage surtout pour les collectivités de moyennes à petites tailles, pour passer ensuite au renforcement des capacités. J’ai même proposé lors du forum des PPP de procéder par des caravanes dans chaque gouvernorat en rassemblant toutes les communes et en faisant des séances de vulgarisation. 
Je pense qu’il existe un engouement certain, un amalgame certes. Les gens pensent que le privé va faire des miracles. Mais le PPP n’est pas la panacée. Il y a un travail de pédagogie à faire au niveau des communes. En France, 75% des PPP a été fait par les collectivités locales. Les opportunités pour le PPP seront en général au niveau local. Faut-il encore qu’il soit bien préparé et bien outillé par rapport au privé. On roule à deux vitesses. On doit faire la promotion du PPP tout en ayant les pieds sur terre. Il faut être prudent. 

Cette prudence ne risque-t-elle pas de bloquer le processus ?
Il s’agit d’une prudence mesurée et non pas aveugle. Elle est issue des bonnes pratiques, qui sont nantis de souplesse et de flexibilité. Il faut toujours avoir à l’esprit qu’il y a des échecs. Je suis réaliste. Nous devons être prudents surtout au démarrage. Il faut du rodage. Il ne faut pas être seul. Il faut que la partie publique soit assistée et accompagnée. Nous devons parler le langage du privé. Il faut une adaptation. C’est le challenge, tu dois composer avec le privé tout en étant public. Le privé va nous inculquer sa façon de faire.

Auteur : Propos receuillis par Maha OUELHEZI

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